Publication d'études iconologiques et historiques sur les grafitti médiévaux.
Un visiteur du Net, M. Benjamin Fornazero (1) exprima, dans un commentaire laissé sur ce blog, ses doutes quant à la validité de la démonstration de Serge Ramond concernant l'inanité d'une partie des relevés du chanoine Tonnellier à Domme (cf la page: Le faux dans l'archéologie du Trait glyptographique). Sa critique porta essentiellement sur la question des procédés de relevé et sur les mérites comparés de l'une ou l'autre technique employée par chacun des "protagonistes", s'attachant finalement à démontrer le caractère peu précis du moulage, mais avec des arguments reposant hélas sur une grande méconnaissance des moyens mis en oeuvre lors de la prise d'empreinte et de sa reproduction. Je lui fis donc part de mes objections au cours d'une brève correspondance qui suivit son intervention, échange durant lequel il admit bien volontiers ses erreurs de jugement. Cependant, puisque le fond du sujet n'était pas tant de discuter du caractère plus ou moins irréprochable des diverses techniques de relevés (les deux sont également excellentes) mais bien de mettre en doute l'existence de registres de gravures figurant seulement sur les estampages Tonnellier et n'apparaissant pas sur les moulages de S. Ramond, pourtant exécutés à la même époque, j'assurai à mon correspondant, en guise d'arbitrage, outre de l'impeccable fiabilité du moulage lorsqu'il est exécuté techniquement dans les règles, ce dont évidemment on ne pouvait douter concernant S. Ramond, qu'il était d'une part impossible qu'un quelconque registre de gravures, si fin ou érodé soit-il, n'apparaisse pas à la vue dans les conditions d'éclairage rasant adéquates (mais on pourrait encore supposer qu'aujourd'hui l'érosion ait eu raison de ces "révélations"... argument que j'ai moi-même entendu); et que d'autre part, l'intervention directe du chanoine sur ses estampages (il repassait au stylo les creux du papier avant d'en effectuer la lecture) rendait éminement suspectes ses "découvertes", d'autant qu'il produisit le même phénomène à Gisors, avec des manies "profusionelles" identiques c'est à noter (repétition pléthorique d'un même élément graphique) qui en disent plus long à mon sens sur les "tics" psychologiques de l'ecclésiastique que sur la réalité concrète des images miraculeuses qu'il soumit au public et à la communauté scientifique de l'époque, et sur lesquelles il fonda les thèses qui le firent connaître.
Domme. Le Paradis. Estampage publié dans la revue Archéologia, avec les fameuses "têtes de sarrazins" imaginées par le chanoine Tonnellier
A contrario, et pour avoir quelque peu suivi de près la pratique de S. Ramond, je puis affirmer -s'il était encore nécessaire- que la réalisation du type et du contre-type lors de la production d'un moulage est une opération purement "mécanique" qui ne peut être suspecte de laisser place à aucune forme de subjectivité, même inconsciente, et par laquelle bien entendu le rendu est toujours en tous points conforme à l'original. Mais puisque la thèse, à mon sens indiscutable, de la malhonnêté partielle du travail
de notre chanoine semble encore aujourd'hui, et malgré des arguments avancés qui d'ailleurs ne sont toujours pas valablement réfutés, difficile à admettre pour certains caractères sourcilleux, il semblerait qu'une preuve de plus fût nécessaire, cette fois-ci définitive et qui achèverait de clore un débat qui n'a que trop duré. C'est l'objet de cet article que d'en faire état, espérant qu'elle convaincra les plus exigeants et pour tout dire, toute personne animée de la plus simple bonne foi. Cette preuve nous est fournie par un autre correspondant du Net, Serge Avrilleau (dont le site figure en lien sur ce blog), à qui j'ai demandé, suite à une abondante correspondance, d'intervenir directement dans ces pages, car il m'a semblé que nul n'était mieux placé que lui pour défendre l'argument dont il était l'initiateur.
Afin de présenter l'homme, non je précise pour avancer un quelconque argument d'autorité à l'appui d'une thèse qui nous le verrons, se suffit à elle-même, mais parce qu'il est nécessaire que les intervenants sur ce blog soient parfaitement situés par le lecteur, on peut dire en résumé qu'il est un spécialiste incontesté des grottes et souterrains du Périgord, dont il a entrepris le recensement complet dès 1968 (2). Il étudia à ce titre les gravures et peintures préhistoriques, notamment à Lascaux, au sein de l'équipe qui préconisa la fermeture du site au public, et fut, entre-autres lieux, le découvreur de la grotte préhistorique de Jovelle (Dordogne). Son activité considérable (3) le mena à s'intéresser plus largement à la glyptographie souterraine en Périgord où il recensa plus de 200 sites, mais aussi aux graffiti en général, dont il devint également un spécialiste.
Il établit entre-autres, et c'est ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, un relevé quasi-complet des graffiti templiers de la Porte des Tours à Domme. C'est donc à ce dernier titre qu'il m'a fait parvenir le texte qui va suivre, s'adressant directement à M. Fornazero, mais qui est évidemment destiné à toute personne possédant les mêmes doutes que ceux de notre correspondant concernant le "problème Tonnellier".
Hervé Poidevin.
Monsieur Fornazero,
comme vous je m'intéresse aux graffiti et aux templiers en général, mais en particulier aux graffiti présumés templiers de Domme. Et je voudrais revenir, avec vous, sur les travaux de M. Ramond et de M. Poidevin.
M. Ramond a effectué des moulages à Domme au moyen de la plastiline et il y a trouvé très exactement ce qui existait à l'époque, c'est-à-dire des graffiti de prisonniers, probablement templiers, d'une importance et d'un intérêt exceptionnels. Serge Ramond (aujourd'hui décédé) n'avait rien ajouté à ses moulages, qui sont donc absolument fidèles. Ces moulages n'ont donc pas pu révéler ce que le chanoine Tonnellier a ajouté de sa main sur ses estampages, en l'occurrence des inscriptions qui n'ont jamais existé. Pour fournir des preuves de l'imposture du chanoine, nous n'aurons pas beaucoup de difficultés, si ce n'est à le faire admettre aux gens de Domme qui ont cru longtemps à sa parfaite honnêteté et à l'infaillibilité de sa science; des preuves il en existe, elles sont nombreuses et pas seulement à Domme. Pour l'exemple, je vais vous en fournir une, difficilement discutable:
dans la prison de la Porte des Tours à Domme, les scènes de chevalerie et celles représentant "le Paradis" et "le Vendredi Saint" où le chanoine Tonnellier a inventé 2050 sarrazins (Archéologia) ont été exécutées sur des pierres portant très ostensiblement leur layage d'origine, c'est-à-dire les laies, rayures diagonales et parallèles laissées par l'outil nommé laye ou "chemin de fer" (à cause du bruit) du tailleur de pierre. Or ce layage, exécuté sur la pierre avant la construction de l'édifice, est encore aujourd'hui intact et parfaitement visible sur place et sur toutes les bonnes photographies. Il est évident que si des dessins de têtes multiples avaient été gravés en même temps que les scènes principales, ce layage aurait disparu et aurait été détruit par les multiples têtes de prétendus sarrazins, qui n'ont donc jamais existé. Il faut songer que les visages imaginés par le chanoine correspondent peut-être aux multiples martelages nécessaires à l'estampage, au moyen d'un maillet de bois, frappé à de multiples reprises sur toute la surface du carton mouillé pour le faire adhérer profondément dans le creux des traits gravés. Ces impacts répétés laissant tous une empreinte similaire ont peut-être suggéré au chanoine une multitude de visages identiques totalement imaginaires. J'ajouterai que la plupart des gravures présentes dans cette prison de Domme sont probablement l'oeuvre authentique des 70 Templiers qui y ont été enfermés. Il n'était pas nécessaire d'y ajouter des sentences pour affirmer leur foi et leur conviction chrétienne; les crucifix sont là pour en témoigner largement.
D'autre part le chanoine Tonnellier est bien connu pour avoir procédé en d'autres lieux dans les mêmes conditions contestables qu'à Domme et la vérité sur ces agissements honorerait la ville de Domme et ce superbe site, malheureusement non protégé, plus que la tolérance aveugle qui a sévi à ce jour.
Mais les méfaits de ces agissements condamnables vont plus loin qu'il pourrait paraître de prime abord: je n'en veux pour preuve que cette phrase écrite par Régine Pernoud dans son ouvrage "Les Templiers": "Il reste que les graffitis émanant de templiers sont en effet intéressants et dans bien des cas contribuent à révéler une mentalité: celle de prisonniers accablés sous d'injustes accusations: ainsi en est-il de ceux qu'a découvert, dans la tour de Domme en Périgord, P.-M. Tonnellier, où, à travers des inscriptions vengeresses (Clemens destructor Templi), de très beaux crucifix, des anges d'apocalypse, les templiers clament l'injustice de leur sort et le calvaire qu'ils subissent. Là est l'histoire,..."
Je trouve déplorable qu'une personne de la notoriété de Régine Pernoud se soit laissée inffluencer par les erreurs d'un ecclésiastique aux méthodes contestées. Et les congratulations à l'égard dudit chanoine se sont malheureusement multipliées à l'infini; il serait grand temps d'arrêter cette hémorragie. M. Hervé Poidevin est de mon avis.
Pour avoir relevé moi-même la plupart des graffiti de Domme au moyen d'un procédé qui n'a eu aucun contact avec la paroi, je suis convaincu que nul n'est infaillible, et qu'en matière de recherche, l'argument d'autorité ne doit pas emporter la décision finale. La prudence et la circonspection doivent en permanence maintenir éveillée l'attention du chercheur sérieux. nous pouvons nous tromper et, finalement, c'est de la concertation mutuelle que naîtra la vérité la plus approchée.
Serge Avrilleau
NOTES:
(1) Le travail de M. Fornazero sur Domme est visible sur son site: http://www.templiers-de-domme.fr
(2) Ce recensement fait l'objet d'une publication, dont 6 volumes sont parus jusqu'à ce jour:
-Cluseaux et souterrains de Périgord, tome 1, le Bergeracois, en collaboration avec Brigitte et Gilles Delluc, préface du Pr Raymond Mauny, ed. Archéologie-24, 1975; même tome, en deux volumes, ed. Libro-Liber, Bayonne-Périgueux, 1996 et 2004; tome 2, le Ribéracois, 1ère partie, ed. Libro-Liber, Bayonne-Périgueux; tome 3, le Ribéracois, 2e partie, même éditeur; tome 4, le Ribéracois, 3e partie, ed.
P.L.B, Le Bugue, Dordogne. D'autres volumes sont en cours d'édition ou en préparation.
On peut noter aussi que Serge Avrilleau a publié une remarquable typologie des graffiti de Périgord, qu'il est possible sans conteste de conseiller à toute personne s'intéressant aux études glyptographiques, tant son caractère exhaustif, la justesse du classement et des commentaires, en dépit de quelques imprécisions concernant la "triple enceinte"(généralement partagées toutefois à l'époque de sa publication), dépasse largement le cadre géographique auquel elle est censée se limiter (Essai de typologie des graffiti anciens, signes et autres marques gravées du Périgord, dans Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, tome CXXVIII, année 2001).
(3) L'intérêt de notre correspondant pour l'archéologie souterraine, qui prit racine dès l'âge de 14 ans (1947), le mena vers la Société Francaise d'Etude des Souterrains, dont il assuma la charge de Président National de 1978 à 1988 et où il anima la revue Subterranea. Il organisa à ce titre de nombreux congrès internationaux en Europe. Il possède à son actif plus de 2100 explorations souterraines.