Publication d'études iconologiques et historiques sur les grafitti médiévaux.
DOCUMENTS POUR SERVIR A L'ETUDE DE LA "TRIPLE ENCEINTE"
L'étude de ce qu'il est convenu d'appeler la "triple enceinte" réserve bien des surprises, nous allons
le voir. Christian Wagneur, au sein du GERSAR, a choisi d'utiliser la méthode statistique
pour tâcher de percer le sens de cette mystérieuse figure, omniprésente dans les graffiti, mais il semble, malgré une immense collecte d'informations à travers le monde, qu'il n'ait pas obtenu
les résultats escomptés (cela ne préjuge évidemment en rien de l'importance de son travail, qui constitue une mine de documentation indispensable pour le chercheur). J'ai pensé de mon côté
qu'il convenait d'étudier ce phénomène dans les contextes sur lesquels nous avions des informations fiables, ce qui est loin d'être toujours le cas, notamment en ce qui concerne les pétroglyphes
du massif de Fontainebleau, et j'ai repoussé toute recherche d'une explication universelle, au profit d'hypothèses contextualisées, dans un milieu et une époque clairement
identifiables.
En l'occurence, on peut être au moins certain qu'à la fin du Moyen-Age, en France, ce diagramme de jeu de marelle à main a revêtu une certaine importance,
au même titre d'ailleurs que le jeu lui-même, très prisé dans les cours européennes à cette époque, importance symbolique sans conteste (et pour l'heure, au sens large) puisqu'on
se fonde sur des exemples où toute possibilité de jeu était exclue (1). En témoignent notamment les "triple enceintes" de Loir-et-Cher sous la forme de décors dans des architectures
civiles ou religieuses, fait assez rare: dessin de briques colorées au château du Moulin à Lassay-sur-Croisne (fin XVe s.) ou sur l'ancienne auberge de l'Ecu de France à La Ferté-Beauharnais
(autrefois Ferté-Avrain, fin XVe-début XVIe s.), gravure en partie oblitérée sur une pierre qu'on estime être de réemploi, à la base d'un contrefort (daté du XVe siècle)
de l'église de Sainte-Gemmes (2). Il ne s'agit donc pas de graffiti, mais de représentations dont l'intentionalité est liée de toute évidence au monument qui les accueille, et cette
programmation ne laisse pas de nous interroger sur la valeur attachée à la "triple enceinte" à l'aube de la Rennaissance, valeur dont il ne subsiste aucune trace écrite. J'ai donc décidé de m'en
tenir tout d'abord aux faits particuliers, et de tenter de les cerner au mieux par une analyse et une étude historique des sites dont la "triple enceinte" est datable (ou tout au moins son
utilisation) sans aucune possibilité d'erreur, ce qui est rarement le cas dans les graffiti.
Je disais au tout début de cette étude que l'investigation des faits concernant la "triple enceinte" réservait bien des surprises, et la découverte des structures de Choussy (Loir-et-Cher),
qui sont l'objet de cet article, n'est pas une des moindres. Quelque rares indices permettent de dater, sinon leur construction, du moins leur utilisation probable, au moins à la fin du
Moyen-Age, comme le révèle le rapport de fouille, sans qu'il soit possible hélas de rien connaître de leur rôle (et de l'identité de leurs utilisateurs)
Je livre donc les pièces du dossier qui n'ont connues que des publications parcellaires et confidentielles (3), sous la plume de Jean Viet, maître d'oeuvre du chantier de fouilles, qui m'a fourni
aimablement l'essentiel de cette documentation.
LE DOSSIER
Jean Viet (né à Paris en 1938), professeur de musique à l'Ecole Normale de Blois (aujourd'hui IUFM) et passionné d'archéologie (4), est informé par une institutrice et amie de Sambin, à la fin de
l'année scolaire 1978, qu'un ensemble de buttes de terre circulaires a été récemment découvert dans un champs qui venait d'être déboisé par son propriétaire afin d'être remis en culture, dans la
commune de Choussy, au lieu-dit La Chapelle. A première vue, il s'agit de simples tumulus comme on en trouve en grand nombre en Sologne (5), et comme l'on croit à des tombelles protohistoriques,
la découverte est aussitôt déclarée au directeur
régional des antiquités historiques (à l'époque, le docteur Allain), qui autorise une fouille de sauvetage avec l'accord du propriétaire, Mr Gosseaume. Jean Viet conduit les travaux avec une
équipe d'amateurs formée entre autres par des membres du Groupe de Recherches Archéologique et Historique de Sologne, et, puisque le site n'existe plus aujourd'hui (les structures ont été
détruites et le champs a été remis en culture), seuls quelques articles de sa main ainsi que les relevés et les rapports de fouille nous font connaître l'étonnante découverte effectuée alors,
suffisamment singulière pour qu'une demande de prolongation soit acceptée en 1979.
Les buttes, au nombre de huit, avaient moins d'un mètre de hauteur, et leur diamètre variait de 6 à 10 mètres. Elles étaient toutes disposées dans un très grand champs entouré d'un talus sur
trois de ses côtés (qui sera également fouillé, sans résultats), quatre d'entre elles selon un ordre caractéristique (trois en triangle équilatéral à peu près régulier, une en son
centre), trois sensiblement alignées, une excentrée. Les buttes ont été numérotées de 1 à 8 (Fig. 1).
Fig. 1: Choussy. Disposition des buttes d'après le plan topographique du site relevé par J. P. Leroux, géomètre expert à Blois. Celles contenant une "triple enceinte" sont indiquées par
un pictogramme.
La fouille a mis en lumière des structures de pierres au niveau du sol, pour quatre des six buttes explorées manuellement, dont trois -et c'est ce qui nous intéresse ici- reproduisent
le shéma d'une "triple enceinte", avec quelques variantes. Deux autres buttes ont été décapées à la pelle mécanique, après qu'on eut constaté qu'elles ne comportaient pas de structure
interne cohérente. La thèse du champs tumulaire de l'âge du fer a donc été rapidement abandonnée.
Voici des passages du deuxième rapport de fouilles adressé par Jean Viet à la direction générale des antiquités historiques de la région Centre, daté du 14 janvier 1981, concernant les trois
buttes à "triple-enceintes":
"BUTTE N° 1.
Le quart conservé en réserve lors du début des travaux a confirmé la régularité du dessin: trois carrés emboités; l'ensemble étant compartimenté en carrés et rectangles (...)
Un facteur de symétrie semble recherché, notamment dans les carrés du cloisonnement, dont les dimensions sont assez précisément de 0m.70 de côté. Les rectangles sont plus inégaux, ils semblent
devoir rattrapper le faux équerrage de l'ensemble (angles extérieurs: nord 105°, sud 105°, est 75°, ouest 75°).
Dimensions des côtés extérieurs: 4m.80, 4m.70, 4m.70, 4m.70 (dans l'axe des alignements de pierres).
Le milieu de chaque côté est indiqué par une pierre, placée extérieurement. Chaque angle est prolongé par une diagonale, sorte de bissectrice extérieure dont l'extrémité est composée de 2 petites
pierres, de chant, placées en contre-bas de l'ensemble.
Orientation de la diagonale nord/sud: 120° (ligne joignant deux angles)." (Fig. 2)
Fig. 2: Choussy. structure de pierres sous la butte n° 1 (relevé: Jean Viet)
"BUTTE N° 2.
Le quart conservé en réserve a confirmé la régularité du dessin, identique à celui de la butte n° 1.
Il est constaté l'absence fréquente des pierres se trouvant aux intersections des droites, sans pour cela que les vides correspondent à la présence d'un autre matériau. Il semblerait plutôt
qu'elles aient été prélevées pour un autre usage, par exemple pour la confection d'un autre dessin.
La symétrie est encore recherchée, les carrés internes sont un peu plus grands que ceux de la butte n°1, de l'ordre de 0m.78 de côté en moyenne.
L'équerrage de l'ensemble est bon, proche de 90° pour chaque angle visible. Dimension des côtés: 4m.91, 5m., 5m., 4m.60 (?).
Le milieu des côtés extérieurs et les angles extérieurs sont soulignés, comme dans la butte n° 1. Deux des angles sont indiqués chacun par deux tuiles à crochets, de chant, entières.
Orientation de la diagonale nord/sud: 110°."
"BUTTE N° 7.
Même dessin que ceux des buttes n°1 et 2; avec, comme ceux-ci, les angles agrémentés de petites prolongations nettement en dessous de l'ensemble, ainsi que les milieux des côtés (...).
L'originalité de cette butte par rapport aux buttes 1 et 2, réside dans l'utilisation de tuiles à crochets pour la confection d'une grande partie du
dessin, ce qui donne la certitude que l'on est en présence de structures ne pouvant être antérieures à la fin du Moyen-Age.
Forme générale: losange sub carré (angles: ouest 90°; nord
95/100°; est 80/85°; sud ?, + ou - 90°).
Dimension des côtés: 4m.76, 4m.48, 4m.60, 4m.60.
Orientation de la diagonale nord/sud: 110° (nord magnétique)." (Fig. 3)
Fig. 3: Choussy. Structure de pierres et de tuiles sous la butte n° 7 (relevé: Jean Viet).
Pour mémoire, voici en résumé ce que Jean Viet dit du contenu des cinq autres buttes, qui ne comportent pas de "triple- enceintes": la butte n° 3 ne révèle qu'un petit édicule de pierres; la
butte n° 4 montre aussi une structure, mais constituée de "rigoles" de pierres assez anarchiques, allant du centre à la périphérie de la butte, formant des méandres et se dédoublant. Elles sont
composées d'un conduit de pierres chapeauté de pierres plates calées par des cailloux. Le remplissage, très noir, n'a pas révélé de matériel spécial (Fig. 4).
Fig. 4: détail de la structure de pierres sous la butte n° 4 (photo: Jean Viet).
Les buttes n° 5 et 6 (dégagées mécaniquement) ne révèlent que quelques pierres peu jointives, sans caractéristiques. Dans la butte n° 8, on n'a trouvé qu'une petite pierre équarrie. On peut se
demandrer pourquoi les buttes 3, 5, 6 et 8 ne recèlent aucune structure, et quel est le sens de leur édification, si l'on pense que les buttes 1, 2 , 4 et 7 servaient à masquer (pour quelle
raison?) les dessins.
On doit noter de plus que le sol a été fouillé profondément sous chaque butte, une fois les structures ôtées, et s'est révélé géologiquement en place, sans aucun matériel. Par contre, les buttes
elles mêmes ont livré quelques rares objets ou débris d'objets, dont Jean Viet nous a livré la nomenclature:
-Des silex taillés, dont une partie moustérienne,
-Des fragments de tuiles à rebords gallo-romaines,
-De la poterie grossière très fragmentée, peut-être du Haut Moyen-Age,
-Des fragments d'une coupelle qui semble dater du XVe siècle (au niveau du dessin de la butte n°1).
Ce matériel n'est pas (à part peut être le fragment du XVe s.) déterminant pour une datation de l'utilisation (ou de la fabrication) des structures, puisque la terre qui contenait ces
fragments avait été empruntée au terrain environnant (l'arasement des buttes a révélé qu'elles étaient cernées d'un fossé, d'où peut-être la terre a été extraite), qui dut être fréquenté de temps
immémorial. Par contre, et Jean Viet l'a bien souligné, la présence de tuiles à crochets pour compléter le dessin de la butte n° 7 doit être retenue pour situer l'utilisation du dessin dans le
temps: ces tuiles n'ont guère de chance d'être antérieures au XIVe siècle (6).
On peut noter enfin que les "rigoles" de la butte n° 4 comportent, à leurs extrémités extérieures, de petites pierres posées de chant, déjà observées sur les bissectrices extérieures des buttes
1, 2 et 7, ce qui souligne l'identité de construction de l'ensemble.
CONCLUSION
L'utilisation des structures de "triple-enceintes" de Choussy à la fin du Moyen-Age est tout à fait possible (sinon probable à mon sens) , période pour laquelle est attestée l'usage des
diagrammes de marelles à main comme jeux, décors et symboles, comme en témoigne à une très grande proximité géographique, le château du Moulin. Faut-il pour autant rapporter la fabrication
des structures à cette époque? Nul ne peut le dire, même si on peut au moins le supposer. Quel était l'usage de tels dessins? La fonction ludique doit être exclue, car on ne voit pas très bien
pourquoi de simples délassements auraient été occultés avec tant de soin. L'usage rituel, en rapport avec le sens symbolique de la figure à la fin du Moyen-Age, me paraît plus plausible, sans
qu'il soit vraiment possible d'en déterminer le contenu. On peut, si l'on veut, se représenter la chose par une comparaison: les labyrinthes représentés sur le sol des grandes cathédrales
gothiques étaient, outre des symboles (on voit parfois cette figure représentée en petit format sur des murs), destinés à être parcourus rituellement, en substitut du pèlerinage à
Jérusalem. Figure symbolique et figure rituelle se trouvent ainsi liées, dans une commune signification.
Quoiqu'il en soit, le site de Choussy, à l'instar de la "triple-enceinte" n'a pas, pour l'heure, livré son secret. Il en est de même pour un site analogue exploré en Bourgogne, comportant comme à
Choussy des buttes de terre recouvrant des dessins géométriques faits à l'aide de pierres, et qui fit l'objet en son temps d'une publication dans les pages de la revue Archéologia (7). Des buttes
également "aménagées" découvertes en Charentes ont en fait été reconnues comme étant des garennes artificielles, telles qu'elles son décrites par Olivier de Serres dans son Théâtre
d'agriculture et mesnage des champs, édité en 1600. Evidemment, cette hypothèse ne peut être retenue, ni pour le site de Choussy, ni pour les structures
bourguignonnes. De nouvelles découvertes archéologiques nous révèleront peut-être le sens de ces étranges témoignages d'un temps révolu. Il est encore possible que
l'aboutissement de la recherche concernant la signification de la "triple enceinte" nous livrera quelques éléments de réponse. L'avenir nous le dira.
NOTES
(1) La tapisserie dite "à la marelle" (autour de 1500) rend compte du double aspect nobiliaire et symbolique que pouvait avoir ce jeu à la fin du Moyen-Age. Elle représente une noble
pastorale, lieu commun de l'époque, dans laquelle un homme présente cérémonieusement un plateau de jeu de type "triple-enceinte" dans une mise en scène où il n'est
manifestement pas destiné à servir de délassement (Musée du Louvres).
(2) On peut citer des exemples semblables dans d'autres départements. Le cas des pierres de réemploi est bien représenté à Toulx-Sainte-Croix (Creuse), dans le muret bordant le chemin du village.
Le cas de "triple-enceintes" en décor est illustré notamment par Lavaufranche (Creuse; plus de 80 figures peintes au XIVe siècle sur l'enfeu de Jean Grivel) et Gien (château d'Anne de Beaujeu,
XVe siècle).
(3) Cf. Jean Viet, Fouille de sauvetage sur des "tumulus" à Choussy (L.& C.) dans Bulletin du Groupe de Recherche Archéologique et Historique de Sologne, tome 2, n° 1, janvier-mars
1980, pp; 5 à 9./ Structures médiévales de Choussy, dans Revue Archéologique Sites, n° 12, 1982.
(4) D'abord passionné de géologie dans son jeune âge, il s'est, à la fin des années soixantes, intéressé à la paléontologie du bassin parisien. Ses premières fouilles eurent lieu à
Villacoublay, puis il oeuvra en Loir-et-Cher, à Ouchamps, comme responsable de chantiers de fouilles (cimetière gallo-romain, 1977-1978; gisement du paléolithique, 1984, 1985), Selles
sur Cher (site néolithique) et Choussy. Il est titulaire d'un doctorat d'université (Tours): L'étude historique et archéologique de la frontière ouest de la Sologne (1983).
(5) On dénombre plus de 300 tumulus en Sologne, mais cette dénomination est quelque peu conventionnelle, car beaucoup de ces tertres ne contiennent aucune tombe
(6) Il s'agit d'une date minimum, car on peut aussi bien penser, d'après Jean Viet, qu'elles furent déposées là dans les siècles suivants.
(7) R. Ratel, De mystérieux tertres en Bourgogne, dans Archéologia, n° 172, novembre 1982.
ANNEXE: UNE MISE AU POINT
Ayant pris connaissance de cette étude, M. Jean-Mary Couderc, membre de l'Académie de Touraine (1), m'adresse ce mail (jeudi 26 novembre 2009):
Quoique vous ne me le demandiez pas, je voudrais vous dire mon sentiment sur ces travaux. Il y a un travail intéressant déployé avec passion mais vous avez tendance à aller trop loin, dans
des hypothèses non prudemment assises sur des travaux archivistiques ou archéologiques; ainsi les découvertes des monticules de J. Biet (sic) que je connais personnellement, n'ont rien à
voir avec la triple enceinte. Il pourrait s'agir de structures comme celles découvertes dans les Deux-Sèvres et en bien d'autres endroits de France (Bourgogne par exemple): des cloisonnements
internes de garennes seigneuriales. (...) les cloisons en pierre auraient pour but d'assurer aux familles de lapins une relative tranquillité, tout en permettant aux employés des seigneurs de les
capturer aisément avec des poches".
Pour trancher la question de l'identité des structures de Choussy, je me propose de m'appuyer sur l'ouvrage, déjà cité dans cette étude,
d'Olivier de Serres (+1619): Le théâtre d'Agriculture et mesnage des champs (1600), qui est le premier ouvrage d'agronomie moderne, et par lequel nous connaissons avec précision
l'architecture et le rôle des garennes artificielles en forme de buttes, telles qu'elles étaient en usage à l'époque de sa rédaction et probablement même au Moyen Age. Avant toute chose, il est
utile de rappeler que le terme "garenne" (du germanique waren ou warende, de wehren, fortifier, défendre, d'où son sens général de lieu frappé d'interdiction)
désignait en fait à l'époque médiévale un lieu (forêt ou rivière) où les seigneurs se réservaient le droit de chasse ou de pêche. A partir du XIIIe siècle, le terme se
rapportait au territoire sur lequel le seigneur se réservait la chasse des lièvres, lapins, perdrix et faisans, soit une petite forêt où le seigneur entretenait ces mêmes bêtes pour s'y
livrer au plaisir de la chasse. Enfin, le mot désigna plus particulièrement un lieu peuplé de lapins, clôt artificiellement pour permettre leur prolifération.
Olivier de Serres nous apprend que ces garennes artificielles étaient le plus souvent encloses de fossés remplis d'eau et empoissonnés. La terre issue de ces fossés servait à constituer des
buttes au sein de la garenne ("monticules relevez"), auxquelles on donnait des formes diverses, "ressemblans à des petits costaux sur lesquels conils (lapins) se promènent à
plaisir et de même s'y logent, pour la facilité de creuser cette terre de nouveau remuée". L'auteur indique que l'on avait l'habitude de laisser des zones vides sous le monticule, afin
qu'elles servent aux lapins à "passer et repasser, se promenans et se sauvans de l'incursion de bestes de proye: aussi pour s'y retirer en temps de pluye; pour laquelle cause on les disposera
de telle sorte qu'ils vuident l'eau, les posant en lieu élevé". Ces "vides" étaient faits de pierres plates "comme aqueducs couverts" et de toutes formes. Il ne semble pas que ces
structures aient été destinées à permettre le gîte pour la reproduction. On laissait aux lapins l'essentiel de la butte pour qu'ils "se creusent des nids et des tanières à leur fantaisie
mieux que l'homme ne sçauroit faire" (2). Ces structures n'étaient donc destinées qu'à faciliter le refuge. Nous l'avons vu plus haut, elles constituaient des sortes de couloirs ( et non des
compartiments), et en aucun cas de simples pierres juxtaposées au niveau du sol (elles sont d'ailleurs plates en Bourgogne) n'auraient pu remplir cette fonction de protection. De plus ces
conduits devaient être situé en hauteur au sein de la butte, afin que l'eau de pluie n'y stagne pas, et non pas, selon Olivier de Serres, au niveau du sol. Assimiler donc les dessins de
pierre en forme de "triples enceintes" de Choussy aux artefacts décrits dans Le théâtre d'agriculture est un simple non-sens. Il ne s'ensuit pas que les buttes de Choussy
n'aient pas rempli (peut-être accessoirement) la fonction de garennes artificielles, comme le laisseraient penser les conduits (réels ceux-là) de la butte n° 4 (mais dans cette hypothèse,
pourquoi y avait-il un remplissage?). Je n'avais certes pas envisagé cette possibilité, mais cela ne fait, dans ce cas, que repousser la question des dessins de pierres, qui n'ont
véritablement aucune utilité pratique, et cependant devaient bien avoir un rôle. Je ne vois pas par ailleurs pourquoi les dessins de Choussy ne seraient pas des "triple enceintes",
puisqu'ils en ont toutes les caractéristiques: trois carrés concentriques et quatre médianes en forme de croix; avec, en plus, les prolongements des droites qui leur donnent l'aspect de
"grilles". Mais la "triple enceinte" connaît, dans les graffiti, de multiples variations, et la "grille" lui est d'ailleurs parfois associée.
Je remercie donc mon correspondant de ses objections, puisqu'elles m'auront permises de préciser une question qui certes peut se poser à d'autres, et je ne peux que renvoyer le
lecteur qui serait intéressé par la question des garennes médiévales à l'étude archéologique de M. Jean-Mary Couderc: Les forêts tourangelles: un conservatoire
archéologique, dans le Bulletin de la Société archéologique de Touraine, t. XLI, 1987, Tours.
NOTES
(1) Jean-Mary Couderc est Maître de conférences honoraire de Géographie, biogéographe, archéologue et historien, ancien président de la Société de Protection de la Nature en Touraine, directeur,
auteur ou co-auteur d'une dizaine d'ouvrages encyclopédiques sur la Touraine et la région Centre (cf. http://academie-de-touraine.ifrance.com/).
(2) Les citations qui précèdent sont tirées de l'édition de 1675 du Théâtre d'Agriculture, publiée à Lyon.